« Qui connaîtra le secret de la composition musicale ? Le bruit de la mer, la courbe d’un horizon, le vent dans les feuilles déposent en nous de multiples impressions. Et tout d’un coup, sans qu’on y consente le moins du monde, l’un de ces souvenirs se répand hors de nous et s’exprime en langage musical. Il porte en lui-même son Harmonie. Quelque effort que l’on fasse, on n’en pourra trouver de plus juste, ni de plus musical. »
Claude Debussy, interview dans Excelsior du 11 février 1911
« Je veux chanter mon paysage intérieur avec la candeur naïve de l’enfance. »
Claude Debussy, idem
“Seuls, les musiciens ont le privilège de capter toute la poésie de la nuit et du jour, de la terre et du ciel, d’en reconstituer l’atmosphère et d’en rythmer l’immense palpitation.”
Claude Debussy, S.I.M. Concerts Colonne, 1 novembre1913
« La musique commence là où la parole est impuissante à exprimer ; elle est écrite pour l’inexprimable. Je voudrais qu’elle eût l’air de sortir de l’ombre et que, par instants, elle y rentrât, que toujours elle fût discrète personne. La musique est une mathématique mystérieuse dont les éléments participent de l’infini. Elle est responsable du jeu des courbes que décrivent les brises changeantes ; rien n’est plus musical qu’un coucher de soleil. Pour celui qui sait regarder avec émotion, c’est la plus belle leçon de développement écrite dans ce livre pas assez fréquenté par les musiciens, je veux dire : la Nature… Ils regardent dans les livres, à travers les maîtres, remuant pieusement cette vielle poussière sonore; c’est bien, mais l’art est peut-être plus loin »
Claude Debussy M.Croche, p.171, Musica, mai 1903.
Ladepeche.fr juin 2018 Interview du philosophe Luc Ferry
Pour un philosophe, la musique est-elle une forme de langage ?
La musique, c’est une «romance sans paroles» disait Mendelssohn, qui reprenait là une idée développée par Emmanuel Kant, le plus grand philosophe allemand. La musique est le seul langage qui soit universel. Elle parle à tous, par delà les frontières géographiques et sociales, sans mots et même sans images. Quand on écoute un prélude de Chopin ou un Choral de Bach, c’est comme s’il nous racontait une histoire. Il y a un début, un développement, une fin, des sentiments, des émotions, et même des idées, mais rien de visible comme dans la peinture. C’est cela qui rend la musique si mystérieuse et singulière parmi les arts.
La musique tient-elle une place importante dans votre vie ?
Importante est faible. C’est vital pour moi, je ne pourrais pas m’en passer. Jamais en travaillant car je ne comprends pas qu’on puisse écrire en écoutant de la musique, sauf si elle est insignifiante. La musique, quand elle est vraiment belle, vous envahit, elle ne laisse pas place pour autre chose.
Y a-t-il des compositeurs qui vous touchent particulièrement ? Aimez-vous aussi la chanson, le jazz ?
Je ne suis pas un fan de jazz. Je n’arrive pas à le considérer autrement que comme une musique de fond, d’ambiance. Je reconnais volontiers qu’une chanson peut être très belle, touchante, comme «L’Aigle noir» de Barbara ou «Ne me quitte pas» de Brel. Mais, pour belle qu’elle soit parfois, la musique dite «populaire» n’est jamais au niveau des grandes œuvres savantes. On peut écouter mille fois tout au long de sa vie le deuxième mouvement de la Septième symphonie de Beethoven, la première Ballade de Chopin, les grands concertos romantiques, les suites pour violoncelle de Bach ou le deuxième mouvement du Concerto en sol de Ravel. En revanche, les tubes de l’été n’ont qu’un temps. Ceux qui parviennent à durer sont ceux qui se rapprochent le plus de la musique classique.
« La beauté n’est pas un simple ornement. La Beauté c’est un signe par lequel la création nous signifie que la vie à du sens. L’univers créé aurait pu n’être que fonctionnel…Ce n’est pas le cas. Au sein de la nature, nous allons d’instinct vers qu’il y a de beau. Avec la présence de la beauté, tout d’un coup on a compris que l’univers vivant n’est pas une énorme entité neutre et indifférenciée. Qu’il est mu par une intentionnalité. Vous dites qu’il est difficile de trouver la beauté, or la présence de la beauté est partout ! Une simple fleur c’est un miracle. Pourquoi une fleur qui s’épanouit en pétales atteint ce degré de perfection de forme et de couleur et de parfum ? Ça, on ne s’étonne jamais assez ! »
François Cheng
Les plus grands chefs-d’oeuvre, ceux dont l’évidence, la singularité, l’individualisme assurent le maximum d’universalité, sont souvent l’écho des grands cris d’humanité qui déchirent le monde.
Tous ces cris et tous ces chefs-d’oeuvre sont des appels prophétiques pour proclamer, pendant qu’il en est temps encore, que l’homme n’est le « sujet » de personne, qui est encore moins « objet », mais que toute sa beauté, c’est d’être un « projet »
Alors l’Art véritable se projette dans le futur, non pas par ses « surprises sympathiques » ou ses « trouvailles captivantes », mais par ses répétitions solennelles, sans cesse variées et remises en question, d’un auteur à l’autre, d’une époque et d’une civilisation à l’autre, de l’émerveillement le plus débridé face au plus grand mystère : celui de l’existence humaine.
Pour être émerveillé, il faut être ingénu et homme livre. L’ingénuité est ce qu’il y a de plus pur, de plus précieux pour tout artiste, de plus fragile et de plus menacé. La liberté, c’est celle qui ne s’apprend pas car, comme le talent, elle est donnée dès l’enfance.
L’âge adulte ne sert plus qu’à la transmettre… Cet âge adulte où les émotions, les passions d’enfant, d’adolescent, sont censées être dominées, …raisonnées, parfois reniées…Pour moi, c’est au contraire l’âge où tous les sentiments, toutes les ombres et lumières du coeur peuvent être exaltées, exacerbées…parce qu’on en a enfin les moyens.
Ceux qui peuvent alors raconter leur âme, même du fond des mirages ou du chagrin, savent creuser une trouée dans l’implacable.
Jean-Louis Florentz, 1996